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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

tant plus précieuse qu’on a dû l’acheter par des années d’épreuves. L’élite s’y est réfugiée, pour échapper à l’asservissement des médiocres. C’est une réaction contre la tyrannie des blocs religieux ou politiques, des poids énormes qui écrasent l’individu, en France : la famille, l’opinion, l’État, les associations occultes, les partis, les coteries, les écoles. Imaginez un prisonnier qui aurait, pour s’évader, à sauter par-dessus vingt murailles qui l’enserrent. S’il parvient jusqu’au bout, sans s’être cassé le cou, et surtout sans s’être découragé, il faut qu’il soit bien fort. Rude école pour la volonté libre ! Mais ceux qui ont passé par là, en gardent, toute leur vie, le dur pli, la manie de l’indépendance, et l’impossibilité de se fondre jamais avec l’âme des autres.

À côté de la solitude par orgueil, il y avait celle par renoncement. Que de braves gens en France, dont toute la bonté, la fierté, l’affection, aboutissaient à se retirer de la vie ! Mille raisons, bonnes ou mauvaises, les empêchaient d’agir. Chez les uns, c’était l’obéissance, la timidité, la force de l’habitude. Chez les autres, le respect humain, la peur du ridicule, la peur de se mettre en vue, d’être livré aux jugements de la galerie, de se mêler de ce qui ne vous regarde pas, d’entendre prêter à des actes désintéressés des mobiles intéressés. Celui-ci ne voulait point prendre part à la lutte politique et sociale, celle-là se détournait des œuvres philanthropiques, parce qu’ils