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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

Il causait peu, las, absorbé, le front plissé ; il tapotait des doigts sur la nappe ; il s’efforçait de manger, se sachant observé, et regardait avec des yeux vagues et lointains ses enfants intimidés par le silence, et sa femme raidie dans son amour-propre blessé, qui, sans le regarder, épiait tous ses gestes. Vers la fin du dîner, il sembla se réveiller ; il essaya de causer avec Antoinette et avec Olivier ; il leur demanda ce qu’ils avaient fait, pendant son voyage ; mais il n’écoutait pas leurs réponses, il n’écoutait que le son de leur voix ; et, bien qu’il eût les yeux fixés sur eux, son regard était ailleurs. Olivier le sentait : il s’arrêtait au milieu de ses petites histoires, et il n’avait pas envie de continuer. Mais chez Antoinette, après un moment de gêne, la gaieté avait pris le dessus : elle bavardait, comme une pie joyeuse, posant sa main sur la main de son père, ou lui touchant le bras, pour qu’il écoutât bien ce qu’elle lui