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ANTOINETTE

l’ombre des sapins, elle regardait ses mains transparentes au soleil, et elle promenait machinalement ses lèvres sur le tissu satiné de ses bras fins et dodus. Elle se faisait des couronnes, des colliers, des robes de feuilles de lierre et de feuilles de chêne ; elle y piquait des chardons bleus, de la rouge épine-vinette et de petites branches de sapins avec leurs fruits verts : elle avait l’air d’une petite princesse barbare. Et elle dansait, toute seule, autour du jet d’eau ; et, les bras étendus, elle tournait, elle tournait, jusqu’à ce que la tête lui tournât, et qu’elle se laissât choir sur la pelouse, la figure enfouie dans l’herbe, et riant aux éclats, pendant plusieurs minutes, sans pouvoir s’arrêter, et sans savoir pourquoi.

Ainsi coulaient les journées des deux enfants, à quelques pas l’un de l’autre, sans s’occuper l’un de l’autre, — sauf lorsqu’Antoinette s’avisait, en passant, de jouer une niche à son frère, de lui lancer au nez une