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ANTOINETTE

matin, quand on l’avait arraché de son lit, il s’oubliait, ses deux petites jambes nues pendant hors de son lit, ou, bien souvent, deux bas enfilés sur la même jambe. Il s’oubliait, ses deux mains dans sa cuvette. Il s’oubliait à sa table de travail, en écrivant une ligne, en apprenant sa leçon : il rêvait pendant des heures ; et après, il s’apercevait soudain, avec terreur, qu’il n’avait rien appris. À dîner, il était ahuri, quand on lui adressait la parole ; il répondait, deux minutes après qu’on l’avait interrogé ; il ne savait plus ce qu’il voulait dire, au milieu de sa phrase. Il s’engourdissait dans le murmure de sa pensée et dans les sensations familières des jours de province monotones, qui s’écoulaient avec lenteur : la grande maison, à moitié vide, dont on n’habitait qu’une partie ; les caves et les greniers immenses et redoutables ; les chambres mystérieusement closes, volets fermés, meubles vêtus de housses, glaces voilées,