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ANTOINETTE

quand il était en face d’eux, il ne voyait plus que leurs yeux, où s’exprimait un être qui mourrait un jour, un être qui n’avait qu’une vie, comme lui, et qui la perdrait bientôt, comme lui : alors, il sentait pour cet être une affection involontaire ; pour rien au monde, il n’aurait pu lui faire de la peine, en cet instant ; qu’il le voulût ou non, il fallait qu’il fût aimable avec lui. Il était faible : et, par là, fait pour plaire au « monde », qui pardonne tous les vices, et même toutes les vertus, — hors une seule : la force, qui est la condition de toutes les autres.

Antoinette ne se mêlait pas à cette compagnie, de son âge. Sa santé, sa fatigue, un accablement moral, sans cause apparente, la paralysaient. Au cours de ces longues années de soucis et de travail acharné, qui usent le corps et l’âme, les rôles avaient été intervertis entre son frère et elle : elle se sentait maintenant loin du