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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

lendemain du jour où elle l’avait envoyée. Deux jours, deux nuits entre eux !… Il s’exagérait le temps et la distance, d’autant plus qu’il n’avait jamais voyagé. Son imagination travaillait : « Dieu ! si elle tombait malade ! Elle aurait le temps de mourir, avant qu’il ne pût la revoir… Pourquoi ne lui avait-elle écrit que quelques lignes, la veille ?… Si elle était malade ?… Oui, elle était malade… » Il suffoquait. — Plus souvent encore, il avait l’épouvante de mourir loin d’elle, seul, au milieu de ces indifférents, dans ce lycée repoussant, dans ce triste Paris. À force d’y penser, il devenait malade… « S’il lui écrivait de revenir ?… » — Mais il rougissait de sa lâcheté. D’ailleurs, dès qu’il lui écrivait, c’était un tel bonheur pour lui de s’entretenir avec elle, qu’il en oubliait pour un instant ce qu’il souffrait. Il avait l’illusion de la voir, de l’entendre : il lui racontait tout ; jamais il ne lui avait parlé si intimement, si pas-