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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

même : il se secouait alors, irrité de sa flânerie ; et il travaillait avec énergie, pour rattraper le temps perdu.

Les jours de congé, il lisait. Ils lisaient, chacun de son côté. Malgré tout leur amour l’un pour l’autre, ils ne pouvaient pas lire ensemble le même livre tout haut. Cela les blessait comme un manque de pudeur. Un beau livre leur semblait un secret, qui ne devait être murmuré que dans le silence du cœur. Quand une page les ravissait, au lieu de la lire à l’autre, ils se passaient le livre, le doigt sur le passage ; et ils se disaient :

— Lis.

Alors, pendant que l’autre lisait, celui qui avait déjà lu suivait, les yeux brillants, sur le visage de son ami, les émotions qu’il avait ; et il en jouissait avec lui.

Mais souvent, accoudés devant leur livre, ils ne lisaient pas : ils causaient. Surtout à mesure que la soirée avançait, ils avaient davantage besoin de se confier, et ils