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ANTOINETTE

restait à rêvasser devant son assiette, comme autrefois, quand il était petit. Elle lui caressait doucement la main :

— Allons ! disait-elle en souriant. Courage !

Il souriait aussi, et se remettait à manger. Le dîner se passait ainsi, sans qu’ils fissent un effort pour causer. Ils étaient affamés de silence. — À la fin seulement, leur langue se déliait un peu, lorsqu’ils se sentaient reposés, et que chacun, entouré de l’amour discret de l’autre, avait effacé de son être les traces impures de la journée.

Olivier se mettait au piano. Antoinette se déshabituait d’en jouer, afin de le laisser jouer : car c’était l’unique distraction qu’il eût ; et il s’y donnait de toutes ses forces. Il était très bien doué pour la musique : sa nature féminine, mieux faite pour aimer que pour agir, épousait amoureusement les pensées des musiciens qu’il jouait, se fon-