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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

ciers gênants : ils n’avaient pas donné signe de vie ; ils ne pensaient plus à cet argent, qu’ils croyaient définitivement perdu ; ils s’estimaient trop heureux, au fond, d’être débarrassés à ce prix de leurs parents compromettants. Mais l’orgueil des deux enfants et leur piété filiale souffraient que leur mère dût rien à ces gens qu’ils méprisaient. Ils se privèrent ; ils liardèrent sur leurs moindres distractions, sur leurs vêtements, sur leur nourriture, pour arriver à amasser ces deux cents francs, — une chose énorme pour eux. Antoinette eût voulu être seule à se priver. Mais quand son frère sut ce qu’elle voulait faire, rien ne put l’empêcher de faire comme elle. Ils s’épuisaient tous deux à cette tâche, heureux quand ils pouvaient mettre de côté quelques sous par jour.

À force de privations, en trois ans, sou par sou, ils parvinrent à réunir la somme. Ce fut une grande joie pour eux. Antoinette