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ANTOINETTE

être faible comme lui, que la responsabilité dont on le chargeait, l’obligation de réussir, puisque sa sœur avait mis sur cette carte sa vie entière comme enjeu ! Une telle pensée lui était insupportable, et, loin de redoubler ses forces, l’accablait par moments. Cependant elle l’obligeait malgré tout à résister, à travailler, à vivre : ce dont il n’eût pas été capable, sans cette contrainte. Il y avait en lui une prédisposition à la défaite, — au suicide, peut-être : — peut-être y eût-il sombré, si sa sœur n’eût voulu pour lui qu’il fût ambitieux et heureux. Il souffrait de ce que sa nature était combattue ; et pourtant, c’était le salut. Lui aussi, traversait un âge de crise, cet âge redoutable, où succombent des milliers de jeunes gens, qui s’abandonnent aux aberrations de leurs sens et de leur cerveau, et, pour deux ou trois ans de folie, sacrifient irrémédiablement toute leur vie. S’il avait eu le temps de se livrer à sa pensée, il fût tombé