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LA FOIRE SUR LA PLACE

n’en continuait pas moins de sentir le renfermé. Au fond, ils s’y trouvaient bien ; ils se défiaient des grands courants modernes. Et s’ils connaissaient plus de choses que les autres, ils niaient aussi plus de choses en art. La musique prenait dans ce milieu un caractère doctrinal ; ce n’était pas un délassement : les concerts étaient des leçons d’histoire, ou des exemples d’édification. On académisait les pensées avancées. Le grand Bach, torrentueux, était reçu, assagi, dans le giron de l’Église. Sa musique subissait dans le cerveau scholastique une transformation analogue à celle de la Bible furibonde et sensuelle dans des cerveaux d’Anglais. Pour la musique nouvelle, la doctrine qu’on prônait était un éclectisme très aristocratique, qui s’efforçait d’unir les caractères distinctifs de trois ou quatre grandes époques musicales, du vie au xxe siècle. S’il avait été possible de la réaliser, on eût obtenu en musique l’équivalent de ces constructions hybrides, élevées par tel vice-roi des Indes, au retour de ses voyages, avec des matériaux précieux, ramassés à tous les coins du globe. Mais le bon sens français les sauvait des excès de cette barbarie érudite ; ils se gardaient bien d’appliquer leurs théories ; ils agissaient avec elles, comme Molière avec ses médecins : ils prenaient l’ordonnance, et ils ne la suivaient pas. Les plus forts allaient leur chemin. Le reste du troupeau s’en tenait dans la pratique à des exercices savants de