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À la suite de cette épreuve, Christophe, rentré chez lui, s’avisa de relire les œuvres des musiciens « consacrés ». Il fut consterné, en s’apercevant que certains des maîtres qu’il aimait le mieux avaient menti. Il s’efforça d’en douter d’abord, de croire qu’il se trompait. — Mais non, il n’y avait pas moyen. Il était saisi de la somme de médiocrité et de mensonge qui constitue le trésor artistique d’un grand peuple. Combien peu de pages résistaient à l’examen !

Dès lors, ce ne fut plus qu’avec un battement de cœur qu’il aborda la lecture d’autres œuvres, d’autres maîtres qui lui étaient chers… Hélas ! Il était comme ensorcelé, c’était partout la même déconvenue. À l’égard de certains, ce fut un déchirement de cœur pour lui ; c’était comme s’il perdait un ami bien-aimé, comme s’il s’apercevait soudain que cet ami, en qui il avait mis toute sa confiance, le trompait depuis des années. Il en pleurait. La nuit, il ne dormait plus ; il continuait de se tourmenter. Il s’accusait lui-même : est-ce qu’il ne savait plus juger ? Est-ce qu’il était devenu tout à fait idiot ? — Non, non, plus que jamais il voyait la beauté rayonnante du jour, il sentait avec plus de fraîcheur et d’amour que jamais l’abondance généreuse de la vie : son cœur ne le trompait point…

Longtemps encore, il n’osa pas toucher à ceux qui étaient pour lui les meilleurs, les plus purs, le Saint des Saints. Il tremblait de porter atteinte à la foi qu’il avait en eux. Mais comment résister à l’impitoyable instinct d’une âme brave et véridique, qui veut aller jusqu’au bout et voir les choses

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