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Jean-Christophe

s’étaient pas dit un mot, Christophe s’était retiré dans sa chambre ; et, assis devant sa table, la tête dans ses mains incapable d’aucun travail, il se rongeait l’esprit. La nuit, s’avançait ; il était près d’une heure du matin. Tout à coup, il entendit du bruit, une chaise renversée, dans la chambre voisine. La porte s’ouvrit, et sa mère, en chemise, pieds nus, se jeta à son cou, en sanglotant. Elle brûlait de fièvre, elle embrassait son fils, et elle gémissait au milieu de ses hoquets de désespoir :

— Ne pars pas ! ne pars pas ! Je t’en supplie ! Je t’en supplie ! Mon petit, ne pars pas !… J’en mourrai… Je ne peux pas, je ne peux pas le supporter !…

Bouleversé et effrayé, il l’embrassait, répétant :

— Chère maman, calme-toi, calme-toi, je t’en prie !

Mais elle continuait :

— Je ne peux pas le supporter… Je n’ai plus que toi. Si tu pars, qu’est-ce que je deviendrai ? Je mourrai si tu pars. Je ne veux pas mourir loin de toi. Je ne veux pas mourir seule. Attends que je sois morte !…

Ses paroles lui déchiraient le cœur. Il ne savait que dire pour la consoler. Quelles raisons pouvaient tenir contre ce déchaînement d’amour et de douleur ! Il la prit sur ses genoux, et tâcha de la calmer, avec des baisers et des mots affectueux. La vieille femme se taisait peu à peu, et pleurait doucement. Quand elle fut un peu apaisée, il lui dit :

— Recouche-toi : tu vas prendre froid.

Elle répéta :

— Ne pars pas !

Il dit, tout bas :

— Je ne partirai pas.

Elle tressaillit, et lui saisit la main :

— C’est vrai ? dit-elle. C’est vrai ?

Il détourna la tête, avec découragement :

— Demain, dit-il, demain, je te dirai… Laisse-moi, je t’en supplie !…

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