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Jean-Christophe

ne trouvait pas ses mots, disait des choses absurdes, qui le faisaient rougir. Hassler le laissait patauger, sans cesser de le fixer de ses yeux vagues et indifférents. Quand Christophe fut arrivé au bout de son récit, Hassler continua un instant de balancer son genou, en silence, comme s’il attendait que Christophe continuât. Puis, il dit :

— Oui… Cela ne nous rajeunit pas…

et s’étira.

Après avoir bâillé, il ajouta :

— …Demande pardon… Pas dormi… Soupé au théâtre, cette nuit…

et bâilla de nouveau.

Christophe espérait que Hassler ferait une allusion à ce qu’il venait de lui raconter ; mais Hassler, que toute cette histoire n’avait aucunement intéressé, n’en parla plus ; et il n’adressa nulle question à Christophe sur sa vie. Quand il eut fini de bâiller, il lui demanda :

— Il y a longtemps que vous êtes à Berlin ?

— Je suis arrivé, ce matin, dit Christophe.

— Ah ! fit Hassler, sans s’étonner autrement. — Quel hôtel ?

Sans paraître écouter la réponse, il se souleva paresseusement, atteignit un bouton électrique, et sonna.

— Permettez, fit-il.

La petite bonne parut, avec son air impertinent.

— Kitty, dit-il, est-ce que tu as la prétention de me faire passer de déjeuner, aujourd’hui ?

— Vous ne pensez pourtant pas, dit-elle, que je vais vous apporter votre manger ici, pendant que vous avez quelqu’un ?

— Pourquoi donc pas ? — fit-il en désignant Christophe d’un clignement d’œil railleur. — Il me nourrit l’esprit ; je vais nourrir le corps.

— Est-ce que vous n’avez pas honte de faire assister à votre repas, comme une bête dans une ménagerie ?

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