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la révolte

cées dans la terre, avec une face inerte, un œil unique, énorme, des grilles de cachot, des portes écrasées de sous-marins, des cerceaux de fer, des cryptogrammes d’or dans les barreaux des fenêtres grillées, des monstres vomissants au-dessus de la porte d’entrée, des carreaux de faïence bleue, plaqués par ci, par là, partout où on ne les attendait pas, des mosaïques bariolées, représentant Adam et Ève, des toits couverts en tuiles de couleurs disparates ; des maisons-châteaux-forts, au dernier étage crénelé, avec des animaux difformes sur le faîte, pas de fenêtre d’un côté, puis tout d’un coup, l’un à côté de l’autre, des trous béants, carrés, rectangulaires, triangulaires, des sortes de blessures ; de grands pans de murs vides, d’où surgissait soudain un balcon massif à une seule fenêtre, — un balcon étayé sur des cariatides nibelungesques, et d’où dépassaient, perçant la rampe de pierre, deux têtes pointues de vieillards barbus et chevelus, des hommes-poissons de Bœcklin. Sur le fronton d’une de ces prisons, — une maison pharaonesque, à un étage bas, avec deux colosses nus à l’entrée, — l’architecte avait écrit :


« Que l’artiste montre son univers,
Qui jamais ne fut et jamais ne sera. »

« Seine Welt zeige der Künstler
Die niemals war noch jemals sein wird. »


Christophe, uniquement absorbé par l’idée de Hassler, regardait avec des yeux ahuris, et n’essayait point de comprendre. Il arriva à la maison qu’il cherchait, une des plus simples, — en style carolingien. À l’intérieur, un luxe cossu et banal ; dans l’escalier, une atmosphère lourde de calorifère surchauffé ; un ascenseur étroit, dont Christophe ne profita point, pour avoir le temps de se préparer à sa visite, en montant les quatre étages, à petits pas, les jambes fléchissantes et le cœur tremblant d’émotion. Durant ce court trajet, son ancienne entrevue avec Hassler, son

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