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Il retourna puiser dans la bibliothèque des Reinhart. Tous les livres y passèrent, pêle-mêle, les uns après les autres. Christophe dévora tout. Il avait un tel désir d’aimer le pays de Corinne et de l’inconnue, tant d’enthousiasme à dépenser, qu’il en trouva l’emploi. Même dans des œuvres de second ordre, telle page, tel mot lui faisait l’effet d’une bouffée d’air libre. Il se l’exagérait, surtout quand il en parlait à madame Reinhart, qui ne manquait pas de surenchérir encore. Bien qu’elle fût ignorante comme une carpe, elle s’amusait souvent à opposer la culture française à la culture allemande, et elle humiliait celle-ci au profit de celle-là, pour faire enrager son mari, et pour se venger des ennuis qu’elle avait à subir de la petite ville.

Reinhart s’indignait. En dehors de sa science, il en était resté aux notions enseignées à l’école. Pour lui, les Français étaient des gens adroits, intelligents dans les choses pratiques, aimables, sachant causer, mais légers, susceptibles, vantards, incapables d’aucun sérieux, d’aucun sentiment fort, d’aucune sincérité, — un peuple sans musique, sans philosophie, sans poésie, (à part l’Art poétique, Béranger, et François Coppée), — le peuple du pathos, des grands gestes, des mots exagérés, et de la pornographie. Il n’avait pas assez de mots pour flétrir l’immoralité latine ; et, faute de mieux, il revenait toujours à celui de frivolité, qui, dans sa bouche, comme dans celle de la plupart de ses compatriotes, prenait un sens particulièrement désobligeant. Et cela se terminait par le couplet habituel en l’honneur du noble peuple alle-

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