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Jean-Christophe

voix bien timbrée : il avait grande envie d’en connaître davantage.

Lili Reinhart tapa des mains de se trouver si bien d’accord avec Christophe.

— C’est dommage, dit-elle, que ma petite amie française ne soit plus ici, mais elle n’a pu y tenir : elle est partie.

L’image de Corinne s’éteignit aussitôt. Comme une fusée qui meurt fait paraître soudain dans le ciel sombre les douces et profondes lueurs des étoiles, une autre image, d’autres yeux apparurent.

— Qui ? demanda Christophe, sursautant. La petite institutrice ?

— Comment ! fit madame Reinhart, vous la connaissiez aussi ?

Ils firent sa description : les deux portraits étaient identiques.

— Vous la connaissiez ? répétait Christophe. Oh ! dites-moi tout ce que vous savez d’elle !…

Madame Reinhart commença par protester qu’elles étaient amies intimes, et qu’elles se confiaient tout. Mais quand il fallut rentrer dans le détail, ce tout se réduisit à fort peu de chose. Elles s’étaient rencontrées d’abord dans une visite. Madame Reinhart avait fait des avances à la jeune fille ; et, avec son habituelle cordialité, elle l’avait invitée à venir la voir. La jeune fille était venue deux ou trois fois, et elles avaient causé. Mais ce n’avait pas été sans peine que la curieuse Lili était parvenue à savoir quelque chose de la vie de la petite Française : la jeune fille était fort réservée ; il fallait lui arracher son histoire, lambeau par lambeau. Madame Reinhart savait tout juste qu’elle se nommait Antoinette Jeannin ; elle n’avait pas de fortune, et, pour toute famille, un jeune frère resté à Paris, qu’elle se dévouait à soutenir. Elle parlait de lui sans cesse : c’était le seul sujet sur lequel elle se montrât un peu expansive ; et Lili Reinhart avait gagné sa confiance, en témoignant une sympathie api-

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