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la révolte

— Mon Dieu ! fit-elle, inquiète. Je parie qu’il est de nouveau amoureux !

Christophe éclata de rire. Il lança sa serviette en l’air :

— Amoureux !… s’écria-t-il. Ah ! bon Dieu !… Non, non ! c’est assez ! Tu peux être tranquille. C’est fini, fini, pour toute la vie fini !… Ouf !

Il but un grand verre d’eau.

Louisa le regardait, rassurée, hochait la tête, souriait :

— Beau serment d’ivrogne ! dit-elle. Il y en a pour jusqu’au soir.

— C’est toujours cela de gagné, répondit-il, de bonne humeur.

— Bien sûr ! fit-elle. Alors, qu’est-ce que tu as qui te rend si content ?

— Je suis content. Voilà !

Les coudes sur la table, assis en face d’elle, il voulut lui conter tout ce qu’il ferait plus tard. Elle l’écoutait avec un affectueux scepticisme, et lui faisait remarquer doucement que la soupe refroidissait. Il savait qu’elle n’entendait pas ce qu’il disait ; mais il n’en avait cure : c’était pour lui-même qu’il parlait.

Ils se regardaient en souriant : lui, parlant ; elle, n’écoutant guère. Bien qu’elle fût fière de son fils, elle n’attachait pas grande importance à ses projets artistiques ; elle pensait : « Il est heureux : c’est l’essentiel. » — Tout en se grisant de ses discours, il regardait la chère figure de sa mère, avec son fichu noir sévèrement serré autour de la tête, ses cheveux blancs, ses yeux jeunes qui le couvaient d’amour, son beau calme indulgent. Il lisait toutes ses pensées en elle. Il lui dit, en plaisantant :

— Cela t’est bien égal, hein ? tout ce que je te raconte ?

Elle protesta faiblement :

— Mais non, mais non !

Il l’embrassa :

— Mais si, mais si ! Va, ne t’en défends pas. Tu as raison.

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