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Jean-Christophe

la première visite que Christophe avait faite au château avec son grand-père, le soir où ils avaient vu Hassler) : — mais le vieux, qui toujours répondait avec bonhomie aux boutades un peu irrespectueuses de Christophe, prit, cette fois, un air rogue. Christophe n’y fit pas attention. Un peu plus loin, dans l’antichambre, il rencontra un employé de la chancellerie, fort bavard et prodigue avec lui, d’ordinaire, en démonstrations d’amitié ; il fut surpris de la hâte que ce personnage mit à passer, en esquivant un entretien. Néanmoins, il ne s’arrêta pas à ces impressions, et, continuant son chemin, il demanda à être introduit.

Il entra. Le dîner venait de finir. Son Altesse se tenait dans un des salons. Adossé à la cheminée, il fumait en causant avec ses hôtes, parmi lesquels Christophe distingua sa princesse, qui fumait aussi ; négligemment renversée dans un fauteuil, elle parlait très haut à quelques officiers, qui faisaient cercle autour d’elle. La réunion était animée. Tous étaient fort gais ; et Christophe, en entrant, entendit le rire épais du grand-duc. Mais ce rire s’arrêta net, quand le prince vit Christophe. Il poussa un grognement, et, fonçant droit sur lui :

— Ah ! vous voilà, vous ! cria-t-il. Vous daignez venir enfin ? Est-ce que vous croyez que vous allez vous moquer de moi plus longtemps ? Vous êtes un drôle, Monsieur !

Christophe fut si stupéfait par ce boulet reçu en pleine poitrine, qu’il fut un moment avant de pouvoir articuler un mot. Il ne pensait qu’à son retard, qui ne pouvait légitimer une telle violence. Il balbutia :

— Altesse, qu’ai-je fait ?

L’Altesse n’écoutait pas, et poursuivait avec emportement :

— Taisez-vous ! Je ne me laisserai pas insulter par un drôle.

Christophe, blêmissant, luttait contre sa gorge contractée, qui refusait de parler. Il fit un effort, et cria :

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