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Jean-Christophe

le clavier, appuyant presque sa joue contre celle de son ami. Il sentait le frôlement de ses cils, et voyait, tout contre lui, le coin de sa prunelle moqueuse, son aimable et vivant petit museau, et le petit duvet de sa lèvre retroussée, qui, souriante, attendait. — Elle attendit. Christophe ne comprit pas l’invite ; Corinne le gênait pour jouer : c’était tout ce qu’il pensait. Machinalement, il se dégagea et écarta sa chaise. Comme, un moment après, il se retournait vers Corinne pour lui parler, il vit qu’elle mourait d’envie de rire ; la fossette de sa joue riait ; elle serrait les lèvres, et semblait se tenir à quatre pour ne pas éclater.

— Qu’est-ce que vous avez ? dit-il, étonné.

Elle le regarda, et partit d’un bruyant éclat de rire.

Il n’y comprenait rien :

— Pourquoi riez-vous ? demandait-il, est-ce que j’ai dit quelque chose de drôle ?

Plus il insistait, plus elle riait. Quand elle était près de finir, il suffisait qu’elle jetât un regard sur son air ahuri, pour qu’elle repartit de plus belle. Elle se leva, courut vers le canapé à l’autre bout de la chambre, et s’enfonça la figure dans les coussins, pour rire tout à son aise ; son corps riait tout entier. Il fut gagné par son rire, il vint vers elle, et lui donna de petites tapes dans le dos. Quand elle eut ri tout son soûl, elle releva la tête, essuya ses yeux qui pleuraient et lui tendit les deux mains :

— Quel bon garçon vous faites ! dit-elle.

— Pas plus mauvais qu’un autre.

Elle continuait d’être secouée de petits accès de rire, en lui tenant toujours les mains.

— Pas sérieuse, la Françoise ? fit-elle.

(Elle prononçait : « Françouése ».)

— Vous vous moquez de moi, dit-il, avec bonne humeur.

Elle le regarda d’un air attendri, lui secoua vigoureusement les mains, et dit :

— Amis ?

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