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Jean-Christophe

happait au passage tout ce qui, dans la physionomie des gens, leur démarche, ou leur façon de parler, prêtait à la raillerie. Ses victimes ne pouvaient s’y tromper, au coup d’œil malicieux qui cueillait leurs ridicules. Son instinct simiesque lui faisait même parfois, sans qu’elle y réfléchît, imiter des lèvres et du nez leurs grimaces épanouies ou renfrognées ; et elle gonflait les joues pour répéter des fragments de phrases ou de mots, qu’elle avait saisis au vol, et dont la sonorité lui paraissait burlesque. Il en riait de tout son cœur, nullement gêné par ses impertinences ; car il ne se gênait pas davantage. Heureusement, sa réputation n’avait plus grand chose à perdre ; car une telle promenade était faite pour la couler à jamais.

Ils visitèrent la cathédrale. Corinne voulut grimper jusqu’au faîte de la flèche, malgré ses talons hauts et sa robe trop longue, qui balayait les marches et finit par se prendre à un angle de l’escalier ; elle ne s’en émut pas, tira bravement sur l’étoffe qui craqua, et continua de grimper, en se retroussant gaillardement. Peu s’en fallut qu’elle ne sonnât les cloches. Du haut des tours, elle déclama du Victor Hugo, auquel il ne comprit rien, et chanta une chanson populaire française. Après quoi, elle fit le muezzin. — Le crépuscule tombait. Ils redescendirent dans l’église, d’où l’ombre épaisse montait le long des murs gigantesques, au front desquels luisaient les prunelles magiques des vitraux. Christophe vit, agenouillée dans une des chapelles latérales, la jeune fille qui avait été sa compagne de loge, à la représentation d’Hamlet. Elle était si absorbée dans sa prière qu’elle ne le vit point ; elle avait une expression douloureuse et tendue, qui le frappa. Il eût voulu lui dire quelques mots, la saluer au moins ; mais Corinne l’entraîna dans son tourbillon.

Ils se quittèrent peu après. Elle devait se préparer pour la représentation, qui commençait de bonne heure, suivant l’usage d’Allemagne. Il venait à peine de rentrer, qu’on sonnait à sa porte, pour lui remettre ce billet de Corinne :

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