Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 4.djvu/140

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
Jean-Christophe

ment aux amateurs et même aux artistes le déjà entendu, et qui leur fait souvent reproduire à leur insu, ou aimer dans une œuvre nouvelle, des formes ou des formules qu’ils ont aimées déjà dans des œuvres anciennes. Elle n’avait pas non plus le goût allemand pour la sentimentalité mélodieuse ; — (ou, du moins, sa sentimentalité était autre : il n’en connaissait pas encore les défauts) — elle ne s’extasiait point sur les passages d’une fadeur un peu molle, qu’on préférait en Allemagne ; elle ne distingua point le plus médiocre de ses Lieder, — une mélodie qu’il eût voulu pouvoir détruire, parce que ses amis ne lui parlaient que d’elle, trop heureux de pouvoir le complimenter de quelque chose. L’instinct dramatique de Corinne lui faisait préférer les mélodies qui retraçaient avec franchise une passion précise : c’étaient aussi celles auxquelles il attachait le plus de prix. Toutefois, elle ne laissait pas de manifester son peu de sympathie pour certaines rudesses d’harmonies, qui semblaient toutes naturelles à Christophe : elle éprouvait un heurt à les rencontrer ; elle s’arrêtait devant, et demandait « si vraiment c’était comme ça ». Quand il disait que oui, alors elle se décidait à sauter le pas difficile ; mais ensuite, elle faisait une petite grimace de la bouche qui n’échappait point à Christophe. Souvent même, elle aimait mieux passer la mesure. Alors, il la refaisait au piano.

— Vous n’aimez pas cela ? demandait-il.

Elle fronçait le nez.

— C’est faux, disait-elle.

— Non pas, faisait-il en riant, c’est vrai. Réfléchissez à ce qu’il dit. Est-ce que ce n’est pas juste, ici ?

(Il montrait son cœur.)

Mais elle secouait la tête :

— Peut-être bien ; mais c’est faux, là.

(Elle se tirait l’oreille.)

Elle se montrait aussi un peu choquée par les grands sauts de voix de la déclamation allemande :

128