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la révolte

mettre mal avec tous leurs amis, et surtout avec leurs amies. Aux premiers articles, ils avaient beaucoup ri et trouvé la farce bonne : ils admiraient la vigueur de Christophe à casser les carreaux ; ils croyaient qu’il suffirait d’un mot pour tempérer son ardeur combative, pour détourner au moins ses coups de ceux et de celles qu’ils lui désigneraient. — Point. Christophe n’écoutait rien : il n’avait égard à aucune recommandation, et il continuait, comme un enragé. Si on le laissait faire, il n’y aurait plus moyen de vivre dans le pays. Déjà, leurs petites amies, éplorées et furieuses, étaient venues leur faire des scènes, à la Revue. Ils usèrent toute leur diplomatie à persuader Christophe d’atténuer au moins certaines de ses appréciations : Christophe ne changea rien. Ils se fâchèrent : Christophe se fâcha, mais il ne changea rien. Waldhaus, diverti par l’émoi de ses amis, qui ne le touchait en rien, prit le parti de Christophe, pour les faire enrager. Peut-être était-il d’ailleurs plus capable qu’eux d’apprécier la généreuse extravagance de Christophe, qui se jetait tête baissée contre tous, sans se réserver aucun chemin de retraite, aucun refuge pour l’avenir. Quant à Mannheim, il s’amusait royalement du charivari : ce lui semblait une bonne farce d’avoir introduit ce fou parmi ces gens rangés, et il se tordait de rire, aussi bien des coups que Christophe assénait, que de ceux qu’il recevait. Bien qu’il commençât à croire, sous l’influence de sa sœur, que Christophe était décidément un peu timbré, il ne l’en aimait que mieux : — (il avait besoin de trouver un peu ridicules ceux qui lui étaient sympathiques.) — Il continua donc, avec Waldhaus, à soutenir Christophe contre les autres.

Comme il ne manquait pas de sens pratique, malgré tous ses efforts pour se donner l’illusion du contraire, il eut très justement l’idée qu’il serait avantageux pour son ami d’allier sa cause avec elle du parti musical le plus avancé du pays.

Il y avait dans la ville, comme dans la plupart des villes allemandes, un Wagner-Verein, qui représentait les idées

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