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l’adolescent

essaya — (il s’y crut obligé) — de lier conversation ; mais il n’avait pas grandes ressources de parole ; et Sabine ne lui facilitait pas la tâche ; elle se contentait de répéter ce qu’il venait de dire :

— Il faisait bon, ce soir.

— Oui, ce soir était excellent.

— On ne respirait pas dans la cour.

— Oui, la cour était étouffante.

L’entretien devenait pénible. Sabine profita de ce qu’il était l’heure de faire rentrer la petite, pour rentrer avec elle ; et elle ne se montra plus.

Christophe craignit qu’elle ne fît de même, les soirs suivants, et qu’elle évitât de se trouver avec lui, tant que Louisa ne serait pas là. Mais ce fut tout le contraire ; et, le lendemain, Sabine essaya de reprendre l’entretien. Elle le faisait par volonté plutôt que par plaisir ; on sentait qu’elle se donnait beaucoup de mal pour trouver des sujets de conversation, et qu’elle s’ennuyait elle-même des questions qu’elle posait : demandes et réponses tombaient au milieu de silences navrants. Christophe se rappelait les premiers tête-à-tête avec Otto ; mais avec Sabine, les sujets étaient plus restreints encore, et elle n’avait pas la patience d’Otto. Quand elle vit le peu de succès de ses tentatives, elle n’insista pas : il fallait se donner trop de mal, cela ne l’intéressait plus. Elle se tut, et il l’imita.

Aussitôt, tout redevint très doux. La nuit reprit son calme, et leur cœur ses pensées. Sabine se balançait lentement sur sa chaise, en rêvant. Christophe rêvait, à ses côtés. Ils ne se disaient rien. Au bout d’une demi-heure, Christophe, se parlant à lui-même, s’extasia à

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