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Jean-Christophe

La fillette poussait des cris perçants, et regardait derrière elle, comme si elle était poursuivie : elle allait se jeter dans les jambes de Louisa, qui riait affectueusement. Louisa retenait l’enfant, elle la questionnait ; et l’entretien s’engageait avec Sabine. Christophe n’y prenait point part. Il ne parlait pas à Sabine. Sabine ne lui parlait pas. Par une convention tacite, ils feignaient de s’ignorer. Mais il ne perdait pas un mot des propos échangés par dessus sa tête. Son silence paraissait hostile à Louisa. Sabine ne le jugeait pas ainsi ; mais il l’intimidait, et elle se troublait un peu dans ses réponses. Alors elle trouvait une raison pour rentrer.

Pendant toute une semaine, Louisa enrhumée garda la chambre. Christophe et Sabine se trouvèrent seuls. La première fois, ils en furent effrayés. Sabine, pour se donner une contenance, tenait la petite sur ses genoux, et la mangeait de baisers. Christophe gêné ne savait pas s’il devait continuer d’ignorer ce qui se passait auprès de lui. Cela devenait difficile : bien qu’ils ne se fussent pas encore adressé la parole, la connaissance était faite, grâce à Louisa. Il essaya de sortir une ou deux phrases de sa gorge ; mais les sons s’arrêtaient en route. La fillette, une fois de plus, les tira d’embarras. En jouant à cache-cache, elle tournait autour de la chaise de Christophe, qui l’attrapa au passage et l’embrassa. Il n’aimait pas beaucoup les enfants ; mais il éprouvait une douceur singulière à embrasser celle-ci. La petite se débattait, tout occupée de son jeu. Christophe la taquina, elle lui mordit les mains ; il la laissa glisser à terre. Sabine riait. Ils échangèrent, en la regardant, quelques mots insignifiants. Puis Christophe

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