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l’adolescent

leurs aboiements. On entendait des sons de piano, une clarinette un peu plus loin, et, dans une rue voisine, un cornet à piston. Des voix s’interpellaient. Les gens allaient et venaient par groupes, devant leurs maisons. Louisa se serait crue perdue, si on l’eût laissée seule au milieu de ce tohu-bohu. Mais auprès de son fils, elle y trouvait presque plaisir. Le bruit s’apaisait graduellement. Les enfants et les chiens se couchaient les premiers. Les groupes s’égrenaient. L’air devenait plus pur. Le silence descendait. Louisa racontait de sa voix fluette les petites nouvelles que lui avaient apprises Amalia ou Rosa. Elle n’y trouvait pas un très grand intérêt. Mais elle ne savait de quoi causer avec son fils, et elle éprouvait le besoin de se rapprocher de lui, de dire quelque chose. Christophe, qui le sentait, feignait de s’intéresser à ce qu’elle racontait ; mais il n’écoutait pas. Il s’engourdissait vaguement, et repassait les événements de sa journée.

Un soir qu’ils étaient ainsi, — pendant que sa mère parlait, il vit s’ouvrir la porte de la mercerie voisine. Une forme féminine sortit silencieusement, et s’assit dans la rue. Quelques pas séparaient sa chaise de Louisa. Elle s’était placée dans l’ombre la plus épaisse. Christophe ne pouvait voir son visage ; mais il la reconnaissait. Sa torpeur s’effaça. L’air lui parut plus doux. Louisa ne s’était pas aperçue de la présence de Sabine, et continuait à mi-voix son tranquille bavardage. Christophe l’écoutait mieux, et il éprouvait le besoin d’y mêler ses réflexions, de parler, d’être entendu peut-être. La mince silhouette demeurait sans bouger, un peu affaissée, les jambes légèrement croisées, les mains l’une sur l’autre posées à plat sur ses genoux. Elle

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