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l’adolescent

prête ; et un client sonnait à la porte du magasin. Elle le laissait sonner et appeler une ou deux fois, avant de se décider à se lever de sa chaise. Elle arrivait, souriante, sans se presser, — sans se presser, cherchait l’article qu’on lui demandait, — et, si elle ne le trouvait pas après quelques recherches, ou même (cela arriva) s’il fallait, pour l’atteindre, se donner trop de peine, transporter par exemple l’échelle d’un bout de la pièce à l’autre, — elle disait tranquillement qu’elle n’avait plus l’objet ; et comme elle ne s’inquiétait pas de mettre à l’avenir un peu plus d’ordre chez elle, ou de renouveler les articles qui manquaient, les clients se lassaient et s’adressaient ailleurs. Sans rancune, du reste. Le moyen de se fâcher avec cette aimable personne, qui parlait d’une voix douce, et ne s’émouvait de rien ! Tout ce qu’on pouvait lui dire lui était indifférent ; et on le sentait si bien, que ceux qui commençaient à se plaindre n’avaient même pas le courage de continuer : ils partaient, répondant par un sourire à son charmant sourire ; mais ils ne revenaient plus. Elle ne s’en troublait point. Elle souriait toujours.

Elle avait l’air d’une petite figure florentine. Les sourcils levés, bien dessinés, des yeux gris à demi ouverts, sous le rideau des cils. La paupière inférieure un peu gonflée, avec un léger pli creusé dessous. Le petit nez délicat se relevait vers le bout par une courbe légère. Une autre petite courbe le séparait de la lèvre supérieure, qui se retroussait au dessus de la bouche entr’ouverte, avec une moue de lassitude souriante. La lèvre inférieure était un peu grosse ; le bas de la figure, rond, avait le sérieux enfantin des petites vierges de Filippo Lippi. Le teint était un peu brouillé,

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