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Jean-Christophe

qui venait quelques heures, le matin, pour faire les chambres et garder le magasin, pendant que la jeune femme s’attardait paresseusement dans son lit, ou à sa toilette.

Christophe l’apercevait parfois, à travers ses carreaux, circulant dans sa chambre, pieds nus, dans sa longue chemise, ou assise pendant des heures en face de son miroir ; car elle était si insouciante, qu’elle oubliait de fermer ses rideaux ; et, quand elle s’en apercevait, elle était si indolente, qu’elle ne prenait pas la peine d’aller les baisser. Christophe, plus pudique qu’elle, s’écartait de sa fenêtre, pour ne pas la gêner ; mais la tentation était forte. En rougissant un peu, il jetait un regard de côté sur les bras nus, un peu maigres, languissamment levés autour des cheveux défaits, les mains jointes derrière la nuque, s’oubliant dans cette pose, jusqu’à ce qu’ils fussent engourdis, et qu’elle les laissât retomber. Christophe se persuadait que c’était par mégarde qu’il voyait en passant cet agréable spectacle, et qu’il n’en était pas troublé dans ses méditations musicales ; mais il y prenait goût, et il finit par perdre autant de temps à regarder madame Sabine, qu’elle en perdait à faire sa toilette. Non pas qu’elle fût coquette : elle était plutôt négligée, à l’ordinaire, et n’apportait pas à sa mise le soin méticuleux qu’y mettaient Amalia ou Rosa. Si elle s’éternisait devant sa table de toilette, c’était pure paresse ; à chaque épingle qu’elle enfonçait, il lui fallait se reposer ensuite de ce grand effort, en se faisant dans le miroir de petites mines dolentes. Elle n’était pas encore tout à fait habillée, à la fin de la journée.

Souvent, la bonne sortait, ayant que Sabine fût

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