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l’adolescent

divin murmure des arbres balancés, le doux frémissement de la brise dans les branches, le fin froissement des herbes ondulantes, comme un souffle qui plisse le front limpide d’un lac, comme le frôlement d’une robe légère et de pas amoureux, qui s’approchent, qui passent, et se fondent dans l’air.

Tous ces bruits, tous ces cris, il les entendait en lui. Du plus petit au plus grand de ces êtres, une même rivière de vie coulait : elle le baignait aussi. Ainsi, il était un d’eux, il était de leur sang, il entendait l’écho fraternel de leurs joies et de leurs souffrances ; leur force se mêlait à la sienne, comme un fleuve grossi par des milliers de ruisseaux. Il se noyait en eux. Sa poitrine était près d’éclater sous la violence de l’air trop abondant, trop fort, qui crevait les fenêtres et faisait irruption dans la maison close de son cœur asphyxié. Le changement était trop brusque : après avoir trouvé le néant partout, quand il n’était préoccupé que de sa propre existence, et qu’il la sentait lui échapper et se dissoudre comme une pluie, voici qu’il trouvait partout l’Être sans fin et sans mesure, maintenant qu’il aspirait à s’oublier soi-même, pour renaître dans l’univers. Il lui semblait qu’il sortait du tombeau. Il nageait voluptueusement dans la vie qui coule à pleins bords ; et, entraîné par elle, il se croyait pleinement libre. Il ne savait pas qu’il l’était moins que jamais, qu’aucun être n’est libre, que la loi même qui régit l’univers n’est pas libre, que la mort seule — peut-être — délivre.

Mais la chrysalide qui sortait de sa gaine étouffante, s’étirait avec délices dans son enveloppe nouvelle, et n’avait pas eu le temps de reconnaître encore les bornes de sa nouvelle prison.