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Quand la crise se dissipa, il tomba dans un profond sommeil, comme il n’avait pas dormi depuis longtemps. Le lendemain, à son réveil, la tête lui tournait ; il était brisé, ainsi que s’il avait bu. Mais il gardait au fond du cœur un reflet de la sombre et puissante lumière, qui l’avait terrassé, la veille. Il chercha à la rallumer en lui. Vainement. Plus il la poursuivait, plus elle lui échappait. Dès lors, toute son énergie fut constamment tendue dans l’effort pour faire revivre la vision d’un instant. Tentatives inutiles. L’extase ne répondait point à l’ordre de la volonté.

Pourtant cet accès de délire mystique ne resta pas isolé ; il se reproduisit plusieurs fois, mais jamais avec l’intensité de la première. C’était toujours aux instants où Christophe l’attendait le moins, à de brèves secondes, si brèves, si soudaines, — le temps de lever les yeux, ou d’avancer le bras, — que la vision avait passé, avant qu’il eût le temps de penser que c’était elle ; et il se demandait après, s’il n’avait pas rêvé. Après le bolide enflammé qui avait brûlé la nuit, c’était une poussière lumineuse, de petites lueurs fugitives, que l’œil avait peine à saisir au passage. Mais elles reparaissaient de plus en plus souvent ; elles finissaient par entourer Christophe d’un halo de rêve perpétuel et diffus, où son esprit se diluait. Tout ce qui pouvait le distraire de cette demi-hallucination l’irritait. Impos-

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