Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 3.djvu/72

Cette page a été validée par deux contributeurs.


Christophe sentait une lassitude et une inquiétude extrêmes. Il était brisé sans cause, la tête lourde, les yeux, les oreilles, tous les sens ivres et bourdonnants. Impossible de fixer son esprit nulle part. L’esprit sautait d’objet en objet, dans une fièvre épuisante. Ce papillotement perpétuel d’images lui donnait le vertige, Il l’attribua d’abord à un excès de fatigue et à l’énervement des jours de printemps. Mais le printemps passait, et son mal ne faisait que croître.

C’était ce que les poètes, qui ne touchent aux choses que d’une main élégante, nomment l’inquiétude de l’adolescence, le trouble de Chérubin, l’éveil du désir amoureux dans la chair et le cœur juvéniles. Comme si l’effroyable crise de tout l’être qui craque, et meurt, et renaît de toutes parts, comme si ce cataclysme, où tout : la foi, la pensée, l’action, la vie tout entière, semble près de s’anéantir et se reforge dans les convulsions de la douleur et de la joie, pouvait se réduire à une niaiserie d’enfant !

Tout son corps et son âme fermentaient. Il les considérait, sans force pour lutter, avec un mélange de curiosité et de dégoût. Il ne comprenait point ce qui se passait en lui. Son être entier se désagrégeait. Il passait les journées dans des torpeurs accablantes. Ce lui était une torture de travailler. La nuit, il avait des sommeils pesants et hachés, des rêves monstrueux, des poussées de désirs : une âme de bête se ruait en lui. Brûlant, trempé de sueur, il se regardait avec horreur ;

56