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Jean-Christophe

qu’elle n’avait pas la force de s’opposer à ce qu’on lui vînt en aide. Christophe restait absent tout le jour. Louisa se sentait abandonnée, et la compagnie de la fillette affectueuse et bruyante lui faisait du bien. Rosa s’installait chez elle. Elle apportait son ouvrage, et elles se mettaient à causer. La fillette, avec des ruses gauches, cherchait à amener la conversation sur Christophe. D’entendre parler de lui, d’entendre seulement son nom, la rendait heureuse ; ses mains tremblaient, et elle évitait de lever les yeux. Louisa, ravie de parler de son cher Christophe, racontait de lui de petites histoires d’enfance, insignifiantes et un tantinet ridicules ; mais il n’était pas à craindre que Rosa les jugeât ainsi ; ce lui était une joie et un émoi indicibles, de se représenter Christophe petit enfant, et faisant les sottises ou les gentillesses de cet âge ; la tendresse maternelle qui est dans le cœur de toute femme se mêlait délicieusement en elle à l’autre tendresse ; elle riait de bon cœur, et elle avait les yeux humides. Louisa était attendrie de l’intérêt que Rosa lui témoignait. Elle devinait obscurément ce qui se passait dans le cœur de la fillette, et elle n’en montrait rien ; mais elle s’en réjouissait ; car, seule de la maison, elle savait ce que valait ce cœur. Parfois, elle s’arrêtait de parler, pour la regarder. Rosa, étonnée du silence, levait les yeux de son ouvrage. Louisa lui souriait. Rosa se jetait dans ses bras, avec une brusquerie passionnée, elle cachait sa figure dans le sein de Louisa. Puis, elles se remettaient à travailler et à causer, comme si rien ne s’était passé.

Le soir, lorsque Christophe rentrait, Louisa, reconnaissante des attentions de Rosa, et poursuivant le petit plan qu’elle avait formé, ne tarissait pas en éloges

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