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l’adolescent

duraient point ; elle se figurait ensuite qu’elle s’était trompée ; elle cherchait à le croire, et elle en venait même, par instants, à trouver son nez très ordinaire, et presque assez bien fait. Son instinct lui fit alors chercher, mais bien maladroitement, quelques ruses enfantines, une façon de se coiffer, qui dégageât moins le front, et n’accusât pas autant les disproportions du visage. Cependant, elle n’y mettait pas de coquetterie ; aucune pensée d’amour n’avait traversé son esprit, ou c’était à son insu. Elle demandait peu de chose : rien qu’un peu d’amitié ; et ce peu, Christophe ne paraissait pas disposé à le lui accorder. Il semblait à Rosa qu’elle eût été parfaitement heureuse, s’il avait bien voulu seulement lui dire, quand ils se rencontraient, un bonjour, un bonsoir amical, avec un peu de bonté. Mais le regard de Christophe était si dur et si froid à l’ordinaire ! Elle en était glacée. Il ne lui disait rien de désagréable ; mais elle eût mieux aimé des reproches que ce cruel silence.

Un soir, Christophe était à son piano, et jouait. Il s’était installé dans une étroite pièce mansardée, tout en haut de la maison, afin d’être moins dérangé par le bruit. Rosa l’écoutait d’en bas, avec émotion. Elle aimait la musique, quoiqu’elle eût le goût mauvais, ne l’ayant jamais formé. Tant que sa mère était là, elle restait dans un coin de la chambre, penchée sur son ouvrage, et elle semblait absorbée dans son travail ; mais son âme était attachée aux sons qui venaient de là-haut, et dont elle ne voulait rien perdre. Aussitôt que, par bonheur, Amalia sortait, pour une course dans le voisinage, Rosa se levait d’un bond, jetait l’ouvrage, et grimpait, le cœur battant, jusqu’au seuil de la mansarde. Elle rete-

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