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l’adolescent

trouvé qui les aimât ! Les Allemands ont d’heureuses indulgences pour les imperfections physiques : ils peuvent ne pas les voir ; ils peuvent même arriver à les embellir, par la vertu d’une imagination complaisante qui trouve des rapports inattendus entre la figure qu’ils veulent et les plus illustres exemplaires de la beauté humaine. Il n’eût pas fallu beaucoup presser le vieux Euler, pour lui faire déclarer que sa petite-fille avait le nez de la Junon Ludovisi. Heureusement, il était trop grognon pour faire des compliments ; et Rosa, indifférente à la forme de son nez, ne mettait d’amour-propre qu’à l’accomplissement, suivant les rites, des fameux devoirs du ménage. Elle avait accepté comme parole d’Évangile, tout ce qu’on lui avait enseigné. Ne sortant guère de chez elle, elle avait peu de termes de comparaison, admirait naïvement les siens, et croyait ce qu’ils disaient. De nature expansive, confiante, facilement satisfaite, elle tâchait de se mettre au ton chagrin de la maison, et répétait docilement les réflexions pessimistes qu’elle entendait. Elle avait le cœur le plus dévoué, — pensant toujours aux autres, cherchant à faire plaisir, partageant les soucis, devinant les désirs, ayant besoin d’aimer, sans idée de retour. Naturellement, les siens en abusaient, bien qu’ils fussent bons, et qu’ils l’aimassent ; mais on est toujours tenté d’abuser de l’amour de ceux qui vous sont tout livrés. On était si sûr de ses attentions, qu’on ne lui en savait pas de gré : quoi qu’elle fît, on attendait davantage. Puis, elle était maladroite ; elle avait de la gaucherie, de la précipitation, des mouvements brusques et garçonniers, des expansions de tendresse, qui amenaient des désastres. C’était un verre brisé, une carafe

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