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Jean-Christophe

dant il s’efforçait de se persuader que c’était là la sagesse.

— Ainsi, demanda-t-il avec un peu d’ironie, il n’y a pas de risque que vous vous laissiez séduire par une heure de plaisir ?

— Quelle sottise ! quand on sait que ce n’est qu’une heure, et qu’il y a toute l’éternité après !

— Vous en êtes donc bien sûr de cette éternité ?

— Naturellement.

Christophe l’interrogea. Il avait un frémissement de désir et d’espoir. Si Leonhard allait lui fournir enfin les preuves invincibles de croire ! Avec quelle passion il renoncerait lui-même à tout le reste du monde, pour le suivre en Dieu.

Tout d’abord, Leonhard, fier de son rôle d’apôtre, convaincu d’ailleurs que les doutes de Christophe n’étaient que pour la forme, et qu’ils auraient le bon goût de céder aux premiers arguments, recourut aux livres saints, à l’autorité de l’Évangile, aux miracles, à la tradition. Mais il commença à s’assombrir, quand Christophe, après l’avoir écouté quelques minutes, l’arrêta en lui disant que c’était répondre à la question par la question, et qu’il ne lui demandait pas de lui exposer ce qui faisait justement l’objet de son doute, mais les moyens de le résoudre. Leonhard dut constater alors que Christophe était beaucoup plus malade qu’il ne semblait, et qu’il avait la prétention de ne se laisser convaincre qu’au moyen de la raison. Cependant il pensait encore que Christophe jouait l’esprit fort — (il n’imaginait pas qu’on pût l’être sincèrement). — Il ne se découragea donc pas, et, fort de sa science récente, il fit appel à ses connaissances d’école ; il déballa pêle-mêle,

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