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l’adolescent

Il rayonnait.

— Comment faites-vous pour cela ? demanda Christophe.

Leonhard, avant de répondre, proposa de s’asseoir, sur un banc tranquille, dans une galerie du cloître de Saint-Martin. On apercevait de là un coin de la petite place, plantée d’acacias, et par de là la ville, la campagne, baignée par la brume du soir. Le Rhin coulait au pied de la colline. Un vieux cimetière abandonné, dont les tombes étaient noyées sous un flot d’herbes, dormait à côté d’eux, derrière sa grille close.

Leonhard se mit à parler. Il disait, les yeux brillants de contentement, combien il était doux d’échapper à la vie, d’avoir trouvé l’asile, où l’on est et sera pour toujours à l’abri. Christophe, encore meurtri par ses blessures récentes, sentait passionnément ce désir de repos et d’oubli ; mais il s’y mêlait un regret. Il demanda avec un soupir :

— Et pourtant, est-ce que cela ne vous coûte pas de renoncer tout à fait à la vie ?

— Oh ! fit l’autre tranquillement, qu’y a-t-il à regretter ? N’est-elle pas triste et laide ?

— Il y a de belles choses aussi, dit Christophe, regardant le beau soir.

— Il y a quelques belles choses, mais peu.

— Ce peu, c’est encore beaucoup pour moi !

— Oh ! bien, c’est une simple affaire de bon sens. D’un côté, un peu de bien et beaucoup de mal ; de l’autre, ni bien ni mal, sur terre ; et après, un bonheur infini : est-ce qu’on peut hésiter ?

Christophe n’aimait pas beaucoup cette arithmétique. Une vie si économe lui paraissait bien pauvre. Cepen-

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