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l’adolescent

point. Presque jamais on ne lui faisait une réponse précise : c’étaient toujours des discours à côté. Certains le traitaient d’orgueilleux, et lui disaient que cela ne se discute point, que des milliers de gens plus intelligents que lui et meilleurs, avaient cru sans discuter, qu’il n’avait qu’à faire comme eux. Il en était même qui prenaient un air froissé, comme si c’eût été une offense personnelle de leur poser une telle question ; et pourtant, ce n’étaient peut-être pas les plus sûrs de leur fait. D’autres haussaient les épaules et disaient, en souriant : « Bah ! cela ne peut pas faire de mal. » Et leur sourire disait : « Et c’est tellement commode !… » Ceux-là, Christophe les méprisait de toute la force de son cœur.

Il avait essayé de s’ouvrir de ses inquiétudes à un prêtre ; mais il fut découragé par cette tentative. Il ne put discuter sérieusement avec lui. Si affable que fût son interlocuteur, il faisait poliment sentir qu’il n’y avait point d’égalité réelle entre Christophe et lui ; il semblait entendu d’avance que sa supériorité était incontestée, et que la discussion ne pouvait pas franchir les limites qu’il lui assignait, sans une sorte d’inconvenance : c’était un jeu de parade tout à fait inoffensif. Quand Christophe avait voulu passer outre, et poser des questions, auxquelles il ne plaisait pas au digne homme de répondre, il s’en était tiré avec un sourire protecteur, quelques citations latines, et une objurgation paternelle de prier, prier, pour que Dieu l’éclairât. — Christophe était sorti de l’entretien, humilié et blessé par ce ton de supériorité polie. À tort ou à raison, pour rien au monde, il n’aurait eu de nouveau recours à un prêtre. Il admettait bien que ces hommes lui étaient

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