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Jean-Christophe

boutons de porte, battu les tapis à tour de bras, remué les chaises, les tables, les armoires. Elle y mettait de l’ostentation. On eût dit qu’il s’agissait de son honneur. Et n’est-ce pas, d’ailleurs, avec le même esprit que beaucoup de femmes imaginent et défendent leur honneur ? C’est une sorte de meuble qu’il faut tenir brillant, un parquet bien ciré, froid, dur, — et glissant.

L’accomplissement de sa tâche ne rendait pas madame Vogel plus aimable. Elle s’acharnait aux niaiseries du ménage, comme à un devoir imposé par Dieu. Et elle méprisait celles qui ne faisaient pas comme elle, qui prenaient du repos, qui savaient entre leurs travaux jouir un peu de la vie. Elle allait relancer jusque dans sa chambre Louisa, qui, de temps en temps, au milieu de son ouvrage, s’asseyait pour rêver. Louisa soupirait, mais se soumettait, avec un sourire confus. Heureusement Christophe n’en savait rien : Amalia attendait qu’il fût sorti, pour faire ces irruptions dans leur appartement ; et, jusqu’à présent, elle ne s’était pas attaquée directement à lui : il ne l’eût pas supporté. Il se sentait vis à vis d’elle dans un état d’hostilité latente. Ce qu’il lui pardonnait le moins, c’était son vacarme. Il en était excédé. Enfermé dans sa chambre, — une petite pièce basse qui donnait sur la cour, — la fenêtre hermétiquement close, malgré le manque d’air, afin de ne pas entendre le remue-ménage de la maison, il ne réussissait point à s’en défendre. Involontairement, il s’attachait à suivre, avec une attention surexcitée, les moindres bruits d’en bas ; et quand la terrible voix, qui perçait les cloisons, après une accalmie momentanée, s’élevait de nouveau, il était pris de rage : il criait, frappait du

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