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Jean-Christophe

saient ; et ils tombèrent d’accord que les bons étaient toujours malheureux, et qu’il n’y avait de joie que pour les égoïstes et les malhonnêtes gens. Ils conclurent que la vie était triste, qu’elle ne servait à rien, et qu’il vaudrait beaucoup mieux être mort, si ce n’était la volonté de Dieu, sans doute, qu’on vécût pour souffrir. Comme ces idées se rapprochaient du pessimisme actuel de Christophe, il en conçut plus d’estime pour ses hôtes, et ferma les yeux sur leurs petits travers.

Quand il remonta avec sa mère dans la chambre en désordre, ils se sentaient tristes et las, mais un peu moins seuls ; et tandis que Christophe, les yeux ouverts dans la nuit, ne pouvant dormir à cause de sa fatigue et du bruit du quartier, écoutait les lourdes voitures qui ébranlaient les murs, et les souffles de la famille endormie à l’étage au-dessous, il tâchait de se persuader qu’il serait, sinon heureux, moins malheureux ici, au milieu de ces braves gens, — à vrai dire, un peu ennuyeux, — qui souffraient des mêmes maux que lui, qui semblaient le comprendre, et qu’il croyait comprendre.

Mais s’étant à la fin assoupi, il fut désagréablement réveillé dès l’aube par les voix de ses voisins qui commençaient à discuter, et par le grincement de la pompe qu’une main rageuse faisait marcher, pour procéder ensuite au lavage à grande eau de la cour et de l’escalier.