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l’adolescent

phrases restaient inachevées, obscures. Parfois, elle avait honte de ce qu’elle disait ; elle regardait son fils, et s’arrêtait au milieu d’une histoire. Mais il lui serrait la main, et elle se sentait rassurée. Il était pénétré d’amour et de pitié pour cette âme enfantine et maternelle, où il s’était blotti, quand il était enfant, et qui cherchait en lui maintenant un appui. Et il prenait un plaisir mélancolique à ces petits bavardages sans intérêt pour tout autre que pour lui, à ces souvenirs insignifiants d’une vie toujours médiocre et sans joie, mais qui semblaient à Louisa d’un prix infini. Il cherchait quelquefois à l’interrompre ; il craignait que ces souvenirs ne l’attristassent encore, il l’engageait à se coucher. Elle comprenait son intention, et elle lui disait, avec des yeux reconnaissants :

— Non, je t’assure, cela me fait du bien ; restons encore un peu.

Ils restaient jusqu’à ce que la nuit fût avancée, et le quartier endormi. Alors, ils se disaient bonsoir, elle, un peu soulagée de s’être déchargée d’une partie de ses peines, lui, le cœur un peu gros de ce fardeau nouveau joint à celui qu’il portait déjà.

Le jour du départ arrivait. La veille, ils restèrent plus longtemps que d’habitude dans la chambre sans lumière. Ils ne se parlaient pas. De temps en temps, Louisa gémissait : « Ah ! mon Dieu ! » Christophe tâchait d’occuper son attention des mille petits détails du déménagement du lendemain. Elle ne voulait pas se coucher. Il l’y obligea affectueusement. Mais lui-même, remonté dans sa chambre, ne se coucha pas avant longtemps. Penché à la fenêtre, il s’efforçait de percer l’obscurité, de voir une dernière fois les ténèbres

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