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l’adolescent

faisait nuit encore, — il entendit Gottfried qui se préparait à partir. — Car Gottfried n’avait pas voulu s’arrêter davantage. En passant par la ville, il était venu, suivant son habitude, embrasser sa sœur et son neveu : mais il avait annoncé que, le lendemain matin, il se remettrait en marche.

Christophe descendit. Gottfried vit sa figure blême, creusée par une nuit de douleur. Il lui sourit affectueusement, et lui demanda s’il voulait l’accompagner un peu. Ils sortirent ensemble, avant l’aube. Ils n’avaient pas besoin de parler : ils se comprenaient. En passant près du cimetière, Gottfried dit :

— Entrons, veux-tu ?

Jamais il ne manquait de faire visite à Jean-Michel et à Melchior, quand il venait au pays. Christophe n’était pas entré là depuis un an. Gottfried s’agenouilla devant la fosse de Melchior, et dit :

— Prions, pour qu’ils dorment bien, et qu’ils ne nous tourmentent pas.

Sa pensée était un mélange de superstitions étranges et de clair bon sens : elle surprenait parfois Christophe ; mais cette fois, il ne la comprit que trop. Ils ne dirent rien de plus, jusqu’à ce qu’ils fussent sortis du cimetière.

Comme ils avaient refermé la grille gémissante, et suivaient, le long du mur, dans les champs frileux qui s’éveillaient, le petit sentier qui passait sous les cyprès des tombes, d’où la neige s’égouttait, Christophe se mit à pleurer :

— Ah ! oncle, dit-il, que je souffre !

Il n’osait lui parler de l’épreuve qu’il avait faite de l’amour, par une peur bizarre de gêner ou de blesser

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