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Il rentrait à la maison, sentant le vin, riant, accablé.

La pauvre Louisa le regardait, soupirait, ne disait rien, et priait.

Mais, un soir qu’il sortait d’un cabaret, aux portes de la ville, il aperçut sur la route, à quelques pas devant lui, l’ombre falote de l’oncle Gottfried, son ballot sur le dos. Depuis des mois, le petit homme n’était pas revenu au pays, et ses absences se faisaient toujours plus longues. Christophe le héla, tout heureux. Gottfried, courbé sous son fardeau, se retourna ; il regarda Christophe, qui se livrait à une mimique extravagante, et il s’assit sur une borne pour l’attendre. Christophe, la figure animée, s’approcha, en exécutant une sorte de gambade, et il secoua la main de l’oncle avec de grandes démonstrations d’affection. Gottfried le regarda longuement, puis il dit :

— Bonjour, Melchior.

Christophe crut que l’oncle se trompait, et il éclata de rire :

— Le pauvre homme baisse, pensa-t-il, il perd la mémoire.

Gottfried avait en effet l’air vieilli, ratatiné, rapetissé, rabougri ; il respirait d’un petit souffle pénible et court. Christophe continuait à pérorer. Gottfried remonta son ballot sur ses épaules, et se remit silencieusement en marche. Ils revinrent, côte à côte, Christophe gesticulant et parlant à tue-tête, Gottfried toussotant, se

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