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l’adolescent

Elle sourit :

— Parbleu !

Il eut un sursaut d’indignation :

— Non ! Non ! Ce n’est pas possible ! Tu ne penses pas cela !… Non ! Non !

Elle lui mit ses mains sur les épaules, et se tordit de rire :

— Que tu es bête, que tu es bête, mon chéri !

Il la secoua violemment :

— Ne ris pas ! Pourquoi ris-tu ? Tu ne rirais pas si c’était vrai. Tu aimes Ernst…

Elle continuait de rire, et, l’attirant vers elle, elle l’embrassa. Malgré lui, il lui rendit son baiser. Mais quand il sentit sur ses lèvres ces lèvres, chaudes encore des baisers fraternels, il se rejeta en arrière, il lui maintint la tête à quelque distance de la sienne ; il demanda :

— Tu le savais ? C’était convenu entre vous ?

Elle fit : « oui », en riant.

Christophe ne cria point, il n’eut pas un mouvement de colère. Il ouvrit la bouche, comme s’il ne pouvait plus respirer ; il ferma les yeux, et se serra la poitrine avec ses mains : son cœur éclatait. Puis il se coucha par terre, la tête enfoncée dans ses mains, et il fut secoué par une crise de dégoût et de désespoir, comme quand il était enfant.

Myrrha, qui n’était pas très tendre, eut pitié de lui ; elle eut, sans le vouloir, un élan de compassion maternelle, elle se pencha sur lui, elle lui parla affectueusement, elle voulut lui faire respirer son flacon de sels. Mais il la repoussa avec horreur, et il se releva si brusquement, qu’elle eut peur. Il n’avait ni la force ni le

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