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Jean-Christophe

eux : il ne les soupçonnait pas. Il se leva de nouveau. Il parla de retourner dans le bois, de les chercher, de les appeler. Myrrha eut un petit gloussement ; elle avait tiré de sa poche une aiguille, des ciseaux et du fil ; et elle défaisait et repiquait tranquillement les plumes de son chapeau ; elle semblait installée pour tout un jour :

— Mais non, mais non, bêta, dit-elle. S’ils voulaient venir, est-ce que tu crois qu’ils ne viendraient pas tout seuls ?

Il fut frappé au cœur. Il se retourna vers elle : elle ne le regardait pas, elle était occupée de son ouvrage. Il s’approcha :

— Myrrha ! dit-il.

— Hé ? fit-elle, sans s’interrompre.

Il s’agenouilla, pour la regarder de plus près :

— Myrrha ! répéta-t-il.

— Eh bien donc ? demanda-t-elle, en levant les yeux de son ouvrage, et le regardant en souriant. Qu’est-ce qu’il y a ?

Elle eut une expression railleuse, en voyant sa figure bouleversée.

— Myrrha ! demanda-t-il, la gorge contractée, dis-moi ce que tu penses…

Elle haussa les épaules, sourit, et se remit à travailler.

Il lui prit les mains, il lui enleva le chapeau qu’elle cousait :

— Laisse cela, laisse cela, et dis-moi…

Elle le regarda en face, et attendit. Elle voyait les lèvres de Christophe qui tremblaient.

— Tu penses, dit-il tout bas, que Ernst et Ada… ?

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