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Jean-Christophe

soulagement : que l’air était léger ! Ada lui était revenue… Tout la lui rappelait… Il faisait un peu humide : n’aurait-elle pas froid ?… Les jolis arbres étaient poudrés de givre : quel dommage qu’elle ne les vît pas !… Mais il se rappelait le pari engagé, et il hâtait le pas ; il était préoccupé de ne pas se tromper de chemin. Il triompha, en arrivant au but :

— Nous sommes les premiers !

Il agitait joyeusement son chapeau. Myrrha le regardait en souriant.

L’endroit où ils se trouvaient était un long rocher abrupt, au milieu des bois. De la plateforme du sommet bordée de buissons de noisetiers et de petits chênes rabougris, ils dominaient les pentes boisées, les cimes des sapins qu’enveloppait une brume violette, et le long ruban du Rhin dans la vallée bleutée. Nul cri d’oiseau. Nulle voix. Pas on souffle. Une journée immobile et recueillie d’hiver, qui se chauffe frileusement aux pâles rayons d’un soleil engourdi. Par instants, dans le lointain, le bref sifflet d’un train dans la vallée. Christophe, debout au bord du rocher, contemplait le paysage. Myrrha contemplait Christophe.

Il se retourna vers elle, d’un air de bonne humeur :

— Eh bien ! les paresseux, je le leur avais bien dit !… Bon ! il n’y a qu’à les attendre…

Il s’étendit au soleil, sur la terre crevassée.

— C’est cela, attendons,… dit Myrrha, se décoiffant.

Elle avait, dans le ton, quelque chose de si persifleur qu’il se releva, et la regarda.

— Quoi donc ? demanda-t-elle tranquillement.

— Qu’est-ce que tu as dit ?

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