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l’adolescent

Il ralentit le pas.

— Mais je les connais, continua-t-il, je suis sûr qu’ils courent, pour être là avant nous.

Myrrha éclata de rire :

— Mais non, mais non, ne t’inquiète pas !

Elle se pendait à son bras, elle se pressait étroitement contre lui. Un peu plus petite que Christophe, elle levait vers lui, en marchant, ses yeux intelligents et caressants. Elle était vraiment jolie et séduisante. Il la reconnaissait à peine : nul n’était plus changeant. Dans la vie ordinaire, elle avait la figure un peu blême et bouffie ; et puis, il suffisait de la moindre excitation, d’une pensée joyeuse, ou du désir de plaire, pour que cet air vieillot disparût, pour que ses joues rosissent, pour que les plis des paupières, au-dessous et autour des yeux, s’effaçassent, pour que le regard s’allumât, et pour que toute la physionomie prît une jeunesse, une vie, et un esprit, que celle de Ada n’avait point. Christophe était surpris de sa métamorphose, et il détournait les yeux des siens : il était un peu troublé d’être seul avec elle. Elle le gênait, elle l’empêchait de rêver à son aise ; il n’écoutait pas ce qu’elle disait, il ne lui répondait pas, ou bien tout de travers : il pensait — il voulait penser uniquement à Ada. Il pensait aux bons yeux qu’elle avait tout à l’heure, à son sourire, à son baiser ; et son cœur débordait d’amour. Myrrha voulait lui faire admirer comme les bois étaient beaux, avec leurs petites branches fines sur le ciel clair… Oui, tout était beau : le nuage s’était dissipé, Ada lui était revenue, il avait réussi à briser la glace qui était entre eux ; ils s’aimaient de nouveau ; près ou loin l’un de l’autre, ils ne faisaient plus qu’un. Il respirait avec

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