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Jean-Christophe

allaient, serrés l’un contre l’autre, dans le bois dépouillé. Elle trouvait Christophe gentil, et elle lui savait gré de ses tendres paroles ; mais elle n’abandonnait rien pour cela des caprices malfaisants qu’elle avait dans la tête. Elle hésitait pourtant, elle n’y tenait plus autant. Elle n’en fit pas moins ce qu’elle avait projeté. Pourquoi ? Qui peut le dire ?… Parce qu’elle s’était promis, avant, qu’elle le ferait ?… Qui sait ? Il lui semblait peut-être plus piquant de tromper son ami, ce jour-là, pour lui prouver, pour se prouver à elle-même sa liberté. Elle ne pensait pas le perdre : elle ne l’eût pas voulu. Elle se croyait plus sûre de lui que jamais.

Ils étaient arrivés à une clairière dans la forêt. Deux sentiers s’en détachaient. Christophe prit l’un. Ernst prétendit que l’autre menait plus rapidement au sommet de la colline, où ils voulaient aller. Ada fut de son avis. Christophe, qui connaissait le chemin pour l’avoir souvent pris, soutint qu’ils se trompaient. Ils n’en démordirent pas. Alors il fut convenu qu’on ferait l’expérience ; et chacun paria qu’il arriverait le premier. Ada partit avec Ernst. Myrrha accompagna Christophe ; elle feignait d’être convaincue qu’il avait raison ; et elle ajoutait : « Comme toujours. » Christophe avait pris le jeu au sérieux ; et, comme il n’aimait point perdre, il marchait vite, trop vite au gré de Myrrha, qui avait beaucoup moins de hâte que lui :

— Ne te presse donc pas, m’ami, lui disait-elle, de son ton ironique et tranquille, nous arriverons toujours avant.

Il fut pris d’un scrupule :

— C’est vrai, dit-il, je crois que je vais un peu trop vite : ce n’est pas de jeu.

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