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l’adolescent

elle, — quelle étrange satisfaction elle pouvait trouver à troubler, à souiller, ne fût-ce qu’en pensées, la pureté de leur affection. Il sentait un immense besoin de croire en ce qu’il aimait, et il essayait, une fois de plus, de se faire illusion. Il se reprochait d’être injuste, il avait remords des pensées qu’il lui prêtait, et de son manque d’indulgence.

Il se rapprocha d’elle, il essaya de lui parler : elle lui répondit quelques paroles sèches : elle n’avait aucun désir de se réconcilier avec lui. Il insista, il la pria à l’oreille de vouloir bien l’entendre, un instant, à part des autres. Elle le suivit d’assez mauvaise grâce. Lorsqu’ils furent à quelques pas, et que ni Myrrha ni Ernst ne pouvaient plus les voir, il lui prit brusquement les mains, il lui demanda pardon, il s’agenouilla devant elle, dans le bois, au milieu des feuilles mortes. Il lui dit qu’il ne pouvait plus vivre ainsi, brouillé avec elle ; il ne pouvait plus jouir de la promenade, de la belle journée, il ne pouvait plus jouir de rien, il ne pouvait même plus respirer, sachant qu’elle le détestait ; il avait besoin qu’elle l’aimât. Oui, il était injuste souvent, violent, désagréable ; il la supplia de lui pardonner : la faute en était à son amour même ; il ne pouvait supporter rien de médiocre en lui, rien qui ne fût tout à fait digne d’elle et des souvenirs de leur cher passé. Il les lui rappela, il lui rappela leur première rencontre, leurs premiers jours ensemble ; il dit qu’il l’aimait toujours autant, qu’il l’aimerait toujours. Qu’elle ne s’éloignât pas de lui ! Elle était tout pour lui…

Ada l’écoutait, souriante, troublée, presque attendrie. Elle lui faisait ses bons yeux, les yeux qui disent qu’on s’aime et qu’on n’est plus fâché. Ils s’embrassèrent, et ils

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