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Jean-Christophe

— Et tu le savais ? demanda Christophe à Ada. Pourquoi ne me l’as-tu pas dit ?

— Si tu crois que je connais tous les amants de Myrrha ! dit Ada, en haussant les épaules.

Myrrha releva le mot, et feignit, par jeu, de se fâcher. Christophe n’en put jamais savoir davantage. Il était attristé. Il lui semblait que Ernst, que Myrrha, que Ada avaient manqué de franchise, bien qu’à vrai dire il n’eût à leur reprocher aucun mensonge ; mais il était bien difficile à croire que Myrrha, qui n’avait aucun secret pour Ada, lui eût fait mystère de celui-ci, et que Ernst et Ada ne se connussent pas déjà. Il les observa. Mais ils échangèrent seulement quelques paroles banales, et Ernst ne s’occupa plus que de Myrrha, tout le reste de la promenade. Ada, de son côté, ne parlait qu’à Christophe ; et elle fut beaucoup plus aimable pour lui qu’à l’ordinaire.

Dès lors, Ernst fut de toutes leurs parties. Christophe se fût bien passé de lui ; mais il n’osait le dire. Ce n’est pas qu’il eût un autre motif de vouloir éloigner son frère, que la honte de l’avoir pour compagnon de plaisir. Il était sans défiance. Ernst ne lui en donnait aucun sujet : il paraissait épris de Myrrha, et il observait envers Ada une réserve polie, et même une affectation d’égards, qui étaient presque déplacés ; c’était comme s’il voulait reporter sur la maîtresse de son frère un peu du respect qu’il lui témoignait à lui-même. Ada ne s’en étonnait pas, et elle ne se surveillait pas moins.

Ils faisaient de longues promenades ensemble. Les deux frères marchaient devant ; Ada et Myrrha, riant et chuchotant, suivaient à quelques pas. Elles s’arrêtaient longuement pour causer, plantées au milieu

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