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l’adolescent

un fils, plutôt que comme un frère. Ernst lui témoignait un grand respect ; il faisait allusion quelquefois aux charges que s’imposait Christophe, aux sacrifices d’argent… ; mais Christophe ne le laissait pas continuer, et Ernst se résignait à les reconnaître d’un regard humble et affectueux. Il approuvait les conseils que Christophe lui donnait ; il semblait disposé à changer de vie et à travailler sérieusement, dès qu’il serait rétabli.

Il se rétablissait ; mais la convalescence était longue. Le médecin avait déclaré que sa santé, dont il avait abusé, aurait besoin de ménagements. Il continuait donc à rester chez sa mère, à partager le lit de Christophe, à manger de bon appétit le pain que son frère gagnait, et les petits plats friands que Louisa s’ingéniait à préparer pour lui. Il ne parlait point de partir. Louisa et Christophe ne lui en parlaient pas non plus. Ils étaient trop heureux d’avoir retrouvé le fils, le frère qu’ils aimaient.

Peu à peu, dans les longues soirées qu’il passait avec Ernst, Christophe se laissa aller à lui parler plus intimement. Il avait besoin de se confier à quelqu’un. Ernst était intelligent ; il avait l’esprit prompt, et comprenait — ou semblait comprendre — à demi-mot. Il y avait plaisir à causer avec lui. Pourtant Christophe n’osait rien dire de ce qui lui tenait le plus au cœur : de son amour. Il était retenu par une sorte de pudeur. Ernst, qui savait tout, ne lui en montrait rien.

Un jour, Ernst, tout à fait guéri, profita d’une après-midi de soleil pour flâner le long du Rhin. En passant devant une bruyante auberge, un peu hors de la ville, où l’on venait danser et boire, le dimanche, il aperçut Christophe attablé avec Ada et Myrrha, qui

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